Matéria retirada do sítio http://www.monde-diplomatique.fr/2013/07/OUALALOU/49356.
Comment la chaîne Globo a construit une communauté nationale imaginaire
Les « telenovelas », miroir de la société brésilienne
Promues sous la dictature (1964-1985) dans l’optique de souder ce pays-continent, les « telenovelas » brésiliennes ont évolué. Suivies par l’ensemble de la population, elles tendent un miroir à une société en plein bouleversement. Or la transformation récente du géant sud-américain ne saurait se résumer à sa devise, « Ordre et progrès », comme le révèlent les récentes manifestations dans les grandes villes du pays.
par Lamia Oualalou, juillet 2013
« Il n’y aura personne ! » L’équipe de campagne de M. Fernando Haddad, alors dans la course pour la mairie de São Paulo, était catégorique : la présidente Dilma Rousseff ne pouvait sérieusement songer à tenir son meeting de soutien au candidat du Parti des travailleurs (PT) ce vendredi 19 octobre 2012, pile à l’heure où serait diffusé le dernier épisode d’« Avenida Brasil », la telenovela à sensation de la chaîne Globo. Ce soir-là, des dizaines de millions de Brésiliens assisteraient à l’affrontement final entre les deux héroïnes, Nina et Carminha, afin de savoir qui a tué Max. Convaincue, la présidente a repoussé le rassemblement au lendemain.
« Avenida Brasil » a marqué le retour des grand-messes réunissant la majorité des familles devant le petit écran. Une gageure quand on se souvient que la telenovela brésilienne, la novela, comme on préfère l’appeler ici, a fêté ses 60 ans en 2012.
Lorsque surgit la télévision au Brésil, les soap operas américains ont déjà conquis Cuba, via Miami. Et c’est naturellement vers les auteurs de l’île effrayés par la révolution que se tournent les chaînes, à commencer par la pionnière, TV Tupi. « Le droit de naître », diffusé en 1964, est ainsi une adaptation de la production radiophonique éponyme qui inonda les ondes de l’île caribéenne en 1946. Comme à Cuba, le feuilleton a une fin, alors qu’aux Etats-Unis il peut s’étirer sur des décennies. Pour la première fois, la vie s’arrête à São Paulo et à Rio pendant une demi-heure, plusieurs fois par semaine… mais pas au même moment. La novela n’est pas encore quotidienne, et la transmission en réseau n’existe pas : à peine l’épisode diffusé à São Paulo, la pellicule est acheminée par avion ou en voiture vers Rio (la capitale jusqu’en 1960).
A l’époque, la trame est volontiers exotique, comme en témoignent des titres tels que « Le roi des Tziganes », « Le cheikh d’Agadir » ou « Le pont des soupirs ». En 1968, « Beto Rockfeller » marque une rupture. Pour la première fois, le héros vit à São Paulo. Il travaille chez un cordonnier, dans une artère populaire de la mégalopole, mais se prétend millionnaire à une autre adresse. Avec un vocabulaire de tous les jours, des références aux bonheurs et aux difficultés d’un Brésil urbain, d’autant mieux rendus que certaines scènes sont filmées en extérieur, la novela change de visage. « Désormais, elle incorporera les questions sociales et politiques qui travaillent le Brésil, alors qu’au Mexique ou en Argentine on en reste aux drames de famille », explique Maria Immacolata Vassallo de Lopes, qui coordonne le Centre d’études de la telenovela à l’Université de São Paulo (USP).
Puis apparaît TV Globo, qui s’empare du format. A tel point que, selon Bosco Brasil, un ex-auteur de la maison, « quand on dit “novela brésilienne”, on pense “novela de Globo” ». Née en 1965, un an après le coup d’Etat militaire, la chaîne est d’abord le fruit du génie politique de Roberto Marinho, héritier d’un journal important, le Globo, mais sans influence nationale. Il comprend combien il est stratégique pour la junte de réaliser l’intégration du territoire. Alors que, pour Juscelino Kubitschek (1956-1961), celle-ci passait par le tissage d’un réseau routier, les militaires, au pouvoir de 1964 à 1985, feront le pari des médias. Et, dans ce domaine, Globo sera une pièce centrale : « D’un point de vue économique, elle a joué un rôle essentiel dans l’intégration d’un pays aux dimensions continentales, à travers la formation d’un marché de consommateurs. D’un point de vue politique, sa programmation a porté un message national d’optimisme lié au développement, crucial pour soutenir et légitimer l’hégémonie du régime autoritaire (1) », analyse Venício de Lima, chercheur en communication à l’Université nationale de Brasília.
Beaucoup d’auteurs venus du théâtre
Avec le temps, la chaîne a créé « un répertoire commun, une communauté nationale imaginaire », explique Vassallo de Lopes. En 2011, 59,4 millions de foyers, soit 96,9 % du total, ont la télévision, et chaque Brésilien consomme en moyenne sept cents heures de programmes de Globo chaque année. Alors que le gaucho (habitant de l’extrême sud du pays), plus proche des Argentins dans son mode de vie, n’a pas grand-chose à voir avec un pêcheur d’Amazonie ou une agricultrice du Nordeste, tous partagent désormais le rêve de connaître Rio, principal décor des feuilletons de Globo, ou de porter la chemise blanche et la ceinture dorée de Carminha. L’identification est d’autant plus facile que la frontière entre fiction et réalité est floue. Lorsque les Brésiliens fêtent Noël, leurs héros sur le petit écran font de même. L’effondrement, réel, d’un immeuble à Rio de Janeiro en janvier 2012 est commenté par les personnages de « Fine figure » les jours suivants. Et quand, au cours d’un épisode, on enterre un élu fictif, de véritables hommes politiques acceptent de se faire filmer autour de son cercueil.
Jeunes et vieux, riches et pauvres, analphabètes et intellectuels : tous doivent pouvoir se contempler dans ce miroir. Selon la psychanalyste Maria Rita Kehl, « ces images uniques qui parcourent un pays aussi divisé que le Brésil contribuent à le transformer en une parodie de nation dont la population, unie non pas en tant que peuple, mais en tant que public, parle le même langage (2) ».
L’indéniable bienveillance des militaires n’explique pas seule comment Globo a pu imposer cette syntaxe. Aux heures de plus grande audience, la chaîne réussit la prouesse de diffuser ses propres productions ; en France, dans ces tranches horaires, ce sont souvent les séries américaines qui triomphent. « Tout cela repose sur un véritable talent artistique et technique, qui s’est concentré sur la novela », insiste Mauro Alencar, professeur de télédramaturgie brésilienne et latino-américaine à l’USP. Lorsqu’il décide de faire de la novela le cœur de sa chaîne, Marinho embauche à tour de bras. Paradoxalement, la dictature lui facilite la tâche, puisque la censure interdit à de bons auteurs de théâtre, souvent de gauche, de monter leurs pièces. C’est ainsi que des écrivains tels que Dias Gomes, Bráulio Pedroso ou Jorge Andrade se retrouvent à travailler pour le « docteur » Marinho et pour la télévision, qu’ils méprisaient auparavant.
Contre toute attente, ces grands noms se voient offrir une véritable liberté par les dirigeants de la chaîne, qui acceptent de tenir tête aux censeurs. Globo avait déjà tourné trente-six chapitres de « Roque Santeiro », de Dias Gomes, lorsque la novela fut interdite de diffusion. Elle connaîtra un succès retentissant lorsqu’elle sera tournée à nouveau, dix ans plus tard, en 1985, après l’avènement de la démocratie. En 1996, « O rei do gado » (« Le roi du troupeau »), de Benedito Ruy Barbosa, élégie à la réforme agraire, donne une visibilité inédite au Mouvement des sans-terre (MST).
« Cela fait trente-cinq ans que je travaille pour Globo, je suis l’auteur de dix-sept novelas, et on ne m’a jamais dit ce que je devais faire. J’ai toujours été totalement libre », témoigne Silvio de Abreu, l’un des principaux auteurs de la chaîne. Pour Maria Carmem Jacob de Souza Romano, professeure de communication à l’Université fédérale de Bahia, « les grands auteurs ont un pouvoir de négociation, bien sûr. Ils font preuve de bon sens et ne peuvent transformer la novela en brûlot social, mais ils ont la possibilité d’aborder les thèmes qui leur sont chers, si le succès est au rendez-vous ».
A partir du centre de Rio, il faut une bonne heure de voiture, quand la circulation est fluide, pour se rendre au Projac, l’usine à rêves montée par Globo à Jacarepaguá, dans la partie ouest de la ville. Plus d’un million et demi de mètres carrés, dont 70 % de forêt, permettent à la chaîne de concentrer, depuis 1995, les étapes de la production d’une telenovela. « Avant, les tournages étaient éclatés sur plusieurs studios dans toute la ville. Les concentrer permet une énorme économie de temps et d’argent », explique Mme Iracema Paternostro, responsable des relations publiques, en montrant une maquette des installations.
Une voiture est nécessaire pour en faire le tour. Ici, un bâtiment regroupe les équipes de recherche chargées de compiler les archives et les études de marché. Un peu plus loin, les costumes sont dessinés, cousus et soigneusement conservés, pour être utilisés à l’avenir. Puis on pénètre dans un gigantesque atelier de menuiserie où sont élaborés les meubles et les décors imaginés à quelques mètres de là : un salon du XIXe siècle, une rame de métro — le tout en pièces détachées, pour que l’on puisse les monter en quelques heures, dans l’un des quatre studios de mille mètres carrés où les novelas sont tournées tous les jours de l’année. Les pièces seront ensuite démontées et remisées pour des tournages futurs, ou détruites pour être recyclées.
A l’est du territoire se trouve la cité cinématographique, avec quelques équipements permanents, comme une curieuse église disposant d’une triple façade, l’une baroque, l’autre italienne, la troisième portugaise. « On a toujours besoin d’une église », s’amuse Mme Paternostro, en référence à l’incontournable mariage de l’épisode final. Derrière, ce sont de véritables pans de ville qui sont érigés pour neuf mois, la durée moyenne d’une novela. La moitié de l’action de « Salve Jorge », diffusé début 2013, se déroulant en Turquie, la direction artistique a reconstitué un petit Istanbul, en s’attachant aux moindres détails : une affiche arrachée, un livre tombé d’une bibliothèque, une théière traditionnelle. Pour monter ce décor, des milliers de photos ont été prises sur place, et une cargaison d’objets typiques rapportée à Rio. Des équipes ont également filmé des heures durant la vie de tous les jours, les vendeurs à la sauvette, le flux des voitures.
Lors du montage, les images, toujours en grand angle, s’insérent dans les scènes tournées dans la cité cinématographique. L’illusion fonctionne à merveille. Et le procédé ne concerne pas seulement les destinations lointaines : aux côtés du petit Istanbul, un dédale de rues recrée, sur mille huit cents mètres carrés, l’Alemão, l’une des plus grandes favelas de Rio de Janeiro. Là encore, on s’y croirait. Globo a même embauché Mme Adriana Souza, une vendeuse d’empadas, des chaussons fourrés à la viande ou aux crevettes, pour vendre ses produits dans le décor en carton-pâte comme elle le fait dans sa favela.
Toucher toutes les classes sociales
Le secret de la réussite de Globo, c’est sa capacité à industrialiser toutes les étapes de la création, pour parvenir à diffuser tous les jours au moins trois novelas, chacune comptant entre cent quarante et cent quatre-vingts épisodes d’une quarantaine de minutes, et durant six à neuf mois. A chaque horaire son ambiance, selon un modèle immuable depuis 1968 : la novela de 18 heures aborde un thème léger ; celle de 19 heures est souvent comique ; les questions sociales et les drames sont réservés à celle de 21 heures, l’horaire « noble ». Quant à la narration, elle reprend souvent les recettes typiques du mélodrame, tournant autour de la question de la famille, de l’identité et de la vengeance.
Produire une novela coûte cher : autour de 200 000 dollars par épisode, selon les estimations de Vassallo de Lopes. « Une forte tendance de ces dernières années est le remake des grands succès du passé », explique Nilson Xavier, auteur d’Almanaque de telenovela brasileira (Panda Books, 2007). « Un choix imbécile » aux yeux de Gilberto Braga, l’un des auteurs les plus courtisés de Globo. Pour lui, « il n’existe pas de recette ».
Une fois sa proposition adoptée, l’auteur s’entoure d’une poignée d’assistants, qui écriront une partie des dialogues et des scènes à un rythme forcené. Quelque trente épisodes sont tournés avant le lancement. Dès les premiers jours de la diffusion, la réaction du public est soigneusement auscultée, que ce soit à travers des enquêtes ou sur les réseaux sociaux. « La novela est une œuvre ouverte, explique M. Flávio Rocha, l’un des directeurs de Globo. Un couple peut paraître peu convaincant aux yeux du public et disparaître, alors qu’un personnage qui était secondaire peut devenir central s’il rencontre davantage de succès. L’auteur s’adapte. »
Le discours sur l’« œuvre ouverte » est un mythe cultivé par Globo. Car, avant de laisser divaguer leur imagination, les auteurs sont priés de penser aux coûts de production : idéalement, les scènes qui auront lieu dans un salon doivent être écrites à l’avance, pour être tournées dans la foulée, avant la destruction du décor et son remplacement par un autre dans le studio. Les acteurs enchaînent ainsi au cours du même après-midi le tournage de scènes des épisodes 8, 22, 24 et 42. Seuls ceux qui ont l’habitude de ce type de tournage parviennent à se retrouver dans l’intrigue.
Travailler avec une star est un casse-tête pour l’auteur : certains acteurs font stipuler dans leur contrat qu’ils ne vont au Projac que le mardi et le jeudi, ou exigent une fortune pour bousculer leur emploi du temps. Ils veulent également concentrer leurs scènes dans la même journée. « C’est pour cette raison, par exemple, que les grands personnages ne divorcent jamais : cela pourrait les contraindre à sortir de leur maison, qui constitue leur décor principal, et à tourner dans une multitude d’autres », s’amuse un auteur sous couvert d’anonymat. L’écriture doit être simple, suffisamment répétitive pour que le spectateur puisse renouer avec le cours de l’histoire après avoir raté certains épisodes. Mais les personnages n’en sont pas moins complexes, et la narration — qui renvoie souvent à un riche patrimoine littéraire — assez élaborée pour hanter la société des années après la diffusion.
Il faut de surcroît toucher toutes les classes sociales : « C’est l’impératif de la novela, comme celui du journal télévisé de Globo. Et pourtant, écrire pour tous est en apparence un contre-sens. Rares sont ceux qui y parviennent », souligne Bosco Brasil. Etre auteur de novela n’est pas donné à tout le monde : « Entre 1989 et 2004, vingt-cinq novelas ont été diffusées à l’horaire noble, et elles étaient signées par seulement six auteurs, en alternance », confirme Souza Romano. Le salaire des membres de ce petit club dépasse souvent les 100 000 euros par mois.
Une fortune pour les uns, mais une somme négligeable au regard de ce que rapporte ce produit artistique et commercial. On estime qu’une publicité de trente secondes durant la novela de l’horaire noble coûte autour de 350 000 reals (environ 115 000 euros). Et pour le dernier acte d’« Avenida Brasil », le prix a doublé. Ce soir-là, l’épisode durait soixante-dix minutes, près de deux heures avec la publicité. Entre les spots régionaux et nationaux, cinq cents espaces ont été vendus.
Le miroir de la modernité fonctionne d’autant mieux qu’il intègre un discours pédagogique sur les grandes causes endossées par la chaîne. Des études de la Banque interaméricaine de développement (BID) estiment que les novelas ont joué un rôle dans la forte réduction du nombre de naissances — le taux de fertilité a chuté de 60 % depuis les années 1970 — et dans le quintuplement des divorces (3). La leucémie de Camila, personnage de « Liens de famille », diffusée en 2000, a provoqué une explosion des dons d’organes. « Certaines novelas ont également beaucoup aidé à l’acceptation de l’homosexualité », ajoute Silvio de Abreu, rappelant que Globo dispose d’un département chargé de suggérer des thèmes de société.
Souvent politiquement correcte, l’évocation des débats de société constitue une marque de la novela brésilienne. Pour Globo, pièce centrale des Organisations Globo, le premier conglomérat médiatique d’Amérique latine, contrôlé par la seule famille Marinho, « c’est aussi une façon de se donner une bonne image, celle d’une chaîne privée préoccupée par une mission de service public », estime Souza Romano. De son côté, Alencar veut croire que l’ancienne devise de Globo, « A gente se vê por aqui » (« Ici, on retrouve sa propre vie »), et l’actuelle, « A gente se liga em você » (« Nous sommes branchés sur vous »), « ne sont pas seulement des slogans publicitaires : elles démontrent l’intense relation d’identification du public et l’intérêt de la chaîne pour les grands thèmes nationaux ».
Maintenir cette relation n’est pas simple. D’une part parce que si Globo reste la reine incontestée de la novela — les autres chaînes se bornant à copier son modèle de production sans se donner les moyens de le mettre en œuvre —, elle souffre de la concurrence d’Internet et du désintérêt d’une partie de la jeunesse. Jusqu’aux années 1970, les scores moyens d’audience des novelas dépassaient souvent 60 %. Aujourd’hui, capter l’intérêt de 40 % des foyers représente une réussite. En 2012, l’audience totale de Globo a atteint le niveau le plus bas de l’histoire, avec une chute de 10 % — qui a certes frappé toutes les chaînes. « Le problème, c’est qu’on regarde la novela sur son ordinateur, sur son téléphone, et nous ne disposons encore d’aucun instrument de mesure pour ces supports », plaide Alencar.
De fait, contre toute attente, la chute de l’audience n’a pas impliqué de réduction des bénéfices : les novelas rapportent plus que jamais. Dans les agences de publicité, on reconnaît que c’est en partie le résultat d’une certaine inertie. Comme pour la presse écrite, il est plus simple de pousser les annonceurs à concentrer leur budget sur quelques titres, sans prendre en compte leur impact moindre. Et cette illusion est alimentée par le fait que la novela a contaminé tous les espaces : des dizaines de revues lui sont consacrées, les réseaux sociaux entretiennent le suspense, sans parler des spécialistes en tout genre invités à parler du phénomène dans d’autres émissions de la chaîne, mais aussi dans les colonnes du journal O Globo, ainsi que sur les radios et les autres chaînes liées au groupe — une synergie encore peu étudiée dans les universités. « On parle et on entend parler de plus en plus de la novela, sans nécessairement la voir », constate Brasil.
D’autant que la société brésilienne a profondément changé au cours des dix dernières années, avec la sortie de la pauvreté de près de cinquante millions de personnes, arrivées sur le marché de la consommation de masse, et une réduction sensible des inégalités. « Ce sont des foyers dont le pouvoir d’achat a considérablement augmenté. Il devient donc plus intéressant d’investir en publicité », pointe Alencar.
Des héroïnes femmes de ménage
C’est d’ailleurs l’une des raisons de l’énorme succès d’« Avenida Brasil », qui doit son nom à la voie rapide reliant les quartiers périphériques du nord à la zone sud de Rio de Janeiro, riche et touristique. Ce qui a été décisif n’est pas tant l’intrigue — une jeune femme élevée sur une décharge municipale entend se venger d’avoir été abandonnée par sa belle-mère devenue riche — que l’apparition d’un nouveau type de protagoniste. Les traditionnelles scènes sur les plages d’Ipanema ou de Copacabana, les quartiers les plus huppés de Rio, ont été remplacées par une plongée dans un quartier fictif, le Divino, typique de la petite classe moyenne de la zone nord de la ville. Ce n’est pas la première fois que les pauvres sont représentés ; mais, généralement, leur seul rêve, qui se réalisait lors du happy end, était d’accéder au Rio riche et distingué. Pas dans « Avenida Brasil » : Jorge Tufão, le héros, devenu millionnaire grâce au football, reste dans le quartier de son enfance. On y parle haut et fort, et on ne sait pas utiliser ses couverts correctement, mais il s’y plaît. Enorme succès auprès de ce que le gouvernement s’emploie à décrire comme une « classe moyenne émergente » (en réalité davantage une « frange pauvre » de la population active), qui se voit pour la première fois représentée, comme auprès des plus riches, qui ont ainsi accès à un monde inconnu.
Ce cocktail de fierté chez les uns et de curiosité chez les autres explique également le retentissement de « Pleines de charmes » (2012), dont les héroïnes sont trois femmes de ménage : du jamais-vu. « Jusqu’alors, c’était un personnage secondaire, et souvent caricatural : la femme de ménage qui se mêle de tout dans la vie de sa patronne, sans existence propre », explique Xavier. Entre la hausse du salaire minimum, passé de 70 à 240 euros entre 2002 et 2013, et l’augmentation du niveau d’éducation — la proportion de jeunes âgés de 19 ans ayant été scolarisés pendant au moins onze ans est passée de 25,7 % en 2001 à 45 % en 2011 —, le rapport de forces a commencé à changer dans la société, poussant les auteurs, Filipe Miguez et Izabel de Oliveira, à imaginer ce scénario. « Auparavant, la femme de ménage n’apparaissait qu’à travers sa fonction. Nous avons décidé de la suivre dans sa vie, dans sa maison, dans la rue, dans ses rêves », raconte Miguez. Là encore, la performance est d’avoir réussi à ne pas braquer les plus riches, aux idées fort peu progressistes, comme l’a constaté l’auteur : « Nous avons fait un sondage qui posait des questions du type : “Est-il approprié qu’une domestique monte dans le même ascenseur que vous ?”, et la majorité a répondu non. »
Alors que, dans les bureaux du Projac, ils sont nombreux à plancher sur les transformations économiques et technologiques qui bouleversent le pays, de Abreu se veut philosophe : « Qu’on la regarde sur Internet ou sur un téléphone, pour moi, cela ne changera rien : je devrai toujours me lever tôt et écrire jusqu’à minuit, pour produire un chapitre par jour. »
Lamia Oualalou
Journaliste, Rio de Janeiro.
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